Les retards de livraisons et les pénuries se multiplient, d’autant plus depuis la reprise de l’économie suite aux premières vagues du Covid-19. Les chaînes de production et d’approvisionnement avaient freiné leur allure à cause du ralentissement de l’économie, mais cette dernière semble reprendre et ces chaînes ne sont pas revenues à leur rythme premier, ne permettant pas de suivre la cadence. De plus, les confinements et les nouvelles manières de travailler, comme le télétravail, ont largement augmenté les demandes pour certains matériaux, comme les semi-conducteurs.

Que sont les semi-conducteurs ?

Ces matériaux, relativement minuscules puisqu’ils mesurent généralement entre 5 et 7 nanomètres, sont des composants essentiels à la construction de nombreux biens et outils comme les smartphones, les voitures ou les consoles de jeux. Ils se situent entre un conducteur et un isolant et servent à faire le lien et gérer le courant à l’intérieur. Ils sont fabriqués à partir de plusieurs sources comme le silicium, le germanium, le néodyme, le cérium ou encore le praséodyme. Ces matériaux sont principalement trouvés dans des carrières et des mines. La fabrication en elle-même des semi-conducteurs est tout aussi compliquée. Il faut donc récupérer les matières premières, puis procéder au « dopage » de ces dernières qui permet de gérer la conductivité ou non du produit. Pour la création des plaquettes des semi-conducteurs il peut y avoir plus de 1400 étapes, toutes relativement complexes et pouvant prendre entre 14 et 20 semaines. Ensuite, il convient de prendre en compte l’assemblage et l’emballage, pouvant rajouter jusqu’à 6 semaines. La fabrication peut donc durer près de 26 semaines, ce qui correspond à plus de 6 mois. Les délais pour obtenir seulement l’une de ces puces sont donc conséquents et il est nécessaire d’anticiper les besoins mais également la production pour l’offre, afin que le marché puisse fonctionner sans accroc. 


Les semi-conducteurs, le nouveau nerf de la guerre économique mondiale

Les semi-conducteurs sont devenus progressivement des éléments essentiels du quotidien, bien que tous ne s’en soient pas rendus compte. En effet, ce sont des composants électroniques utilisés dans de très nombreux objets ou biens comme tous les ordinateurs ou les smartphones. La demande pour les semi-conducteurs ne fait qu’augmenter avec le développement de l’électronique, même dans les objets les plus simples du quotidien. Ces derniers se rapprochent souvent bien plus des ordinateurs, demandant alors de nouveaux composants comme ces puces. Alors que l’offre est d’habitude relativement tendue par rapport à la demande, celle-ci s’est contractée au moment de la crise du Covid-19, certains outils ont été plus demandés avec le confinement et le télétravail, et d’autant plus après à la reprise de l’économie. Entre le ralentissement des chaînes, la reprise de la croissance et le temps de fabrication des semi-conducteurs, des pénuries se sont vites créées. En conséquence, l’entreprise Renault a par exemple précisé avoir calculé une perte de production de près de 500 000 véhicules. 

A cela s’ajoute le faible nombre d’usines de production, principalement basées en Asie, puisque la région représente 75% de la capacité mondiale de production. La Chine, tout particulièrement, dispose d’une position dominante sur le marché. Les entreprises sont généralement spécialisées dans une seule partie, que ce soit les brevets de conception, la fabrication ou la vente. Seules quelques-unes d’entre elles maîtrisent l’ensemble de la chaîne comme Samsung, Intel ou STMicroelectronics. Enfin, certains gagnent des parts de marché sur la qualité de leurs produits. Les semi-conducteurs les plus avancés technologiquement sont uniquement produits par Taiwan, qui représente plus de 90% du marché, et par la Corée du sud. Il faut entre deux et quatre ans pour qu’une nouvelle usine de production soit effectivement en marche, d’où la nécessité pour les entreprises de nouveaux et nombreux investissements, et d’anticiper les besoins. 


La riposte des Etats et les enjeux géopolitiques

Les pays s’organisent alors pour riposter. Aux Etats-Unis, Joe Biden a passé un décret présidentiel pour assurer les filières d’approvisionnement du pays en puces et il a réussi à passer un accord avec la compagnie taiwanaise TSMC de construire une de leurs usines en Arizona. L’entreprise américaine Intel a également annoncé la construction de deux usines de semi-conducteurs sur le territoire ainsi que la création d’une nouvelle division spécialisée dans la fonderie de ces éléments spécifiquement. L’Europe s’est jusque-là principalement concentrée sur la recherche mais elle manque cruellement de filière et d’entreprise de production. Elle produit à ce jour moins de 10% de la demande mondiale et la région prévoit de doubler ses capacités de production pour arriver à 20% en 2030. La Présidente de la Commission Européenne, Ursula van der Leyen avait annoncé en septembre 2021, que l’organisation allait passer un European Chips Act au début de l’année 2022 afin de parer à la dépendance de l’UE face à l’extérieur. Celui-ci prévoit notamment de penser une stratégie pour la recherche des semi-conducteurs européens, un plan pour améliorer la production de la région, ainsi que la création de collaborations et partenariats internationaux. Le Commissaire européen au marché intérieur a mentionné la possible constitution d’un fonds européen pour les semi-conducteurs, montrant l’importance stratégique que ces outils ont sur un pays ou une région. A l’échelle nationale, le Président Macron a annoncé que 6 des 30 millions d’un grand plan d’investissement se concentreraient sur la production nationale de composants-clés, les semi-conducteurs faisant très certainement partie de cette définition. 

La guerre sur les matières précieuses et les outils stratégiques comme les semi-conducteurs sont un nouveau symbole de la guerre économique mais aussi géopolitique entre l’Occident et l’Asie, entre les Etats-Unis et l’Europe contre la Chine. Alors que les tensions montent intensément depuis plusieurs mois entre les deux Etats et les deux régions, l’idée d’indépendance est de nouveau dans tous les discours des chefs d’Etat. L’épidémie de Covid-19 avait déjà mis en exergue le manque cruel de chaînes de production nationale pour certains biens. Il ne semble pas possible de penser uniquement à l’échelle mondiale du marché, celui-ci est nécessaire et utile, mais chaque Etat doit repenser sa souveraineté économique et fonctionnelle. L’amélioration des collaborations, comme au sein de l’Union Européenne, apparait des plus nécessaire pour faire face aux autres Etats bien mieux placés, sans quoi, ces matériaux pourraient devenir une véritable arme géopolitique. 


La souveraineté économique des Etats est nécessaire pour le bon fonctionnement de ces derniers, mais également et surtout pour ne pas subir les tensions économiques et géopolitiques. Au-delà de ces éléments, la crise des semi-conducteurs pourrait freiner la transition écologique mondiale, ces derniers étant des plus importants pour la construction de nouvelles techniques et d’outils plus verts, comme les voitures électriques. Ils sont donc des biens essentiels au niveau économique, géopolitique, mais surtout écologique.